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Les portages de la Chaudière - De la pagaie à la carriole

Updated: Mar 23

Comment les trois portages ont façonné la capitale


White Mud Portage par Paul Kane 1846

Les autoroutes du passé

Dans un moment de nostalgie des temps meilleurs (avant Trump), je me suis souvenu d'un moment de la très populaire émission anglaise, The West Wing : La réponse stupéfiante de l'attaché de presse si intelligente, C.J. Cregg (où es-tu CJ!?), lorsqu'un philanthrope milliardaire lui a offert un emploi. Il a 10 milliards de dollars à dépenser et lui demande de « trouver un seul problème auquel je puisse m'attaquer. Quelque chose qui pourrait en fait avoir une sorte d'effet substantiel ». Il commence alors à mentionner plusieurs causes populaires en Afrique, et elle lui coupe la parole en répondant : « Les autoroutes. » « Ce n'est pas sexy. Personne ne collectera jamais de fonds pour ça. Mais neuf projets d'aide africains sur dix échouent parce que les médicaments ou le personnel ne peuvent pas parvenir aux personnes dans le besoin. » Sa réponse, simple mais manifeste, m'est restée.

Pendant des siècles avant que le « progrès » moderne n'arrive dans la capitale nationale, la Grande Rivière que nous appelons la rivière des Outaouais, était elle-même, l'autoroute du pays ; la voie d'accès à l'intérieur et au nord-ouest. Les peuples autochtones vivant sur ses rives montaient et descendaient la rivière pour faire du commerce entre eux et, plus tard, avec les nouveaux venus de l'autre côté de l'océan.

Cependant, en remontant la rivière, la progression en canoë était interrompue par tous les rapides et les chutes rencontrés, obligeant le voyageur à faire du portage en canoë et à transporter ses biens au-delà des eaux tumultueuses. Tant qu'il n'y avait pas d'établissements permanents sur le fleuve, la situation restait la même pendant des siècles.

Les trois portages

Détail des trois portages, identifiés pour la première fois sur la carte de 1802 de T. Davis (Carte complète en bas du billet de blogue [1])

En pagayant vers ce qui serait un jour la capitale nationale, on pouvait entendre le rugissement du grand Akikojiwan - la chaudière bouillante - à plusieurs kilomètres de distance. Pour ceux qui y étaient déjà allés, ce bruit signifiait que le lendemain serait long pour les voyageurs fatigués, car ils auront à négocier les trois portages, ainsi nommés par les premiers explorateurs et voyageurs européens.

Mais les chutes de la Chaudière seront le premier lieu de ces trois portages, tous décourageants tant par leur longueur que par leur terrain accidenté, et le pire, c'est leur proximité ; chacun d'eux est suivi presque immédiatement du suivant.

S'ils n'étaient pas terriblement pressés, les voyageurs remontant la rivière campaient avant le premier portage et campaient de nouveau après le troisième, à la fin d'une journée épuisante. C'est ce que devait affronter quiconque voulait passer la Chaudière.

Imaginez une piste cyclable où vous avez roulé toute la journée en montée, vous vous arrêtez pour porter votre sac à dos de 30 kg, puis vous portez votre vélo sur votre dos à travers la forêt et puis, imaginez devoir répéter cela trois fois. C'est le fun, non ?

Il n'en va pas autrement pour les colons qui arrivent plus tard, en 1800. Leur seul moyen de transport dans cette région sauvage était le canoë. La construction de routes était donc une nécessité pour qu'une installation permanente puisse avoir lieu. Il fallait des routes pour contourner complètement ces portages, transformant un pénible trajet en montée d'une journée à travers l'eau et la brousse, en un voyage relativement confortable en carriol ou en calèche.

Le portage du bas aux chutes de la Petite Chaudière

Les environs du premier portage aux chutes de la Chaudière étaient un lieu où les indigènes avaient habité, avaient pratiqué des rituels sacrés et avaient enterré leurs morts pendant plusieurs millénaires. Il est également devenu le lieu logique pour tout établissement permanent. La puissance des chutes pouvait être exploitée pour les besoins de la meunerie des colons ; un endroit appelé Columbia Falls par Philemon Wright, ou Kettle et Chaudière par presque tout le monde, à son époque.


Le portage du bas

Le portage du bas suivait deux itinéraires alternatifs pour passer les chutes de la Petite Chaudière, selon qu'il était abordé au printemps ou en été. Le débarcadère d'été, comme on l'appelait, faisait 743 pas (croyez-moi, les voyageurs comptaient chaque pas !) Il amenait le pagayeur à passer à côté du Trou du Diable [2], éliminant ainsi la montée précipitée qui se trouvait au bout de l'anse en aval qui menait au débarcadère du printemps. Ce débarcadère devait être utilisé pendant la crue printanière en raison du courant traître en amont, plus proche des chutes.


Wright's Town - John Burrows, 26 janvier 1824 - BANQ

Les deux voies de ce portage sont visibles intactes sur cette carte du début du village de Wright signée par Philemon Wright lui-même et dessinée par John Burrows en 1824. On peut les voir à nouveau sur la carte de 1825, ci-dessous, dessinée par le major GA Elliott. Cinq ans plus tard, P. Wright & Sons reliera l'entrée du débarcadère du printemps à la rivière en amont des chutes de la Petite Chaudière, afin de construire la Hull Slide - le premier glissoir de cages construit sur la rivière des Outaouais en 1829. L'île ainsi créée fut baptisée l'île Philemon.


Wright's Town - major GA Elliott 1825 - BAC

LES ROUTES : Sur la carte d'Elliott, on peut voir certaines des routes qui ont été défrichées pour faciliter le transport des récoltes de la ferme à la scierie et de colonie à colonie. La route principale de la carte contournerait les trois portages et serait certainement la route la plus importante de la vallée pour les décennies à venir. Elle fut connue sous le nom du chemin Britannia, mais aujourd'hui, c'est le boulevard Taché, suivi du chemin d'Aylmer. (Plus d'informations sur ce chemin au fur et à mesure que nous avançons dans les portages.)


Anneaux d'amarrage pour les cages

AUJOURD'HUI : Si vous décidez de faire une promenade pour voir ce portage, il en reste très peu. La seule partie qui reste est la plus intéressante, c'est-à-dire l'ouverture de l'ancienne anse. On peut y accéder par un sentier de terre battu qui débute au Sentier des Voyageurs et mène jusqu'au bout de la péninsule au bord de la rivière, où la vue est assez époustouflante (voir la carte ; x marque le début du sentier). À cet endroit, vous trouverez de grands anneaux d'amarrage, encore intactes, enfoncés dans le calcaire par la rive. Ces anneaux servaient à fixer les radeaux de bois carrés contre le courant et le vent, après leur passage par le glissoir à cages, la Hull Slide des Wright.

À l'extrémité supérieure du portage du bas, accessible à l'extrémité sud de la rue Montcalm (appelée à l'origine Brewery Road), il y a un joli parc avec une sculpture qui honore les voyageurs. Depuis ce parc, vous pouvez avoir une vue magnifique sur le secteur en amont des chutes et faire une courte promenade jusqu'au début du ruisseau de la Brasserie, qui n'est en fait qu'un bras de la rivière des Outaouais, puisqu'il découpe l'île de Hull. Brewery Creek, son nom d'origine, a été nommé ainsi parce que la brasserie de Wright a été construite juste en aval, en 1821.


Avec tout ce discours sur les brasseries, je m'en voudrais de ne pas mentionner qu'en haut de la rue Montcalm se trouve un pub, Les Brasseurs du Temps (BDT), construit dans l'empreinte de la brasserie de Wright. Commandez une pinte de leur délicieux Extra Special Bitter 1821 (ESB 1821). Elle est brassée selon une recette qui reproduit ce que Philemon aurait brassé à l'époque. Il y a aussi un formidable musée brassicol, le seul de la région.

Le portage du milieu aux rapides de la Petite Chaudière

Peu après avoir quitté le portage du bas, les pagayeurs entraient dans une longue baie - qui s'appelait autrefois la baie de la Cache - où ils sortaient leurs canoës de l'eau à son extrémité. Cette baie tire son nom de ce qui était souvent fait avant de commencer le portage du milieu, le plus difficile des trois portages. Ici, les voyageurs pouvaient alléger leur charge - en voyageant à demi-charge - en laissant une partie de leurs provisions dans une cache pour être récupérées au retour. Aujourd'hui, la baie porte le malheureux nom de la baie Squaw sur les cartes modernes et on espère que la ville jugera bon de reprendre son ancien nom.

Le portage du milieu

Le portage était de 700 pas, longeant les rapides de la Petite Chaudière, qui étaient beaucoup plus turbulents avant la mise en place du barrage circulaire des chutes en 1908.

Après le portage du milieu, les voyageurs traversaient une petite baie à la rame jusqu'à une plage (la plage Moussette) pour se préparer à faire la remontée à cordelles [3] et à perche pour les 6,5 km suivants vers les rapides de Deschênes.

Au retour, le voyage était beaucoup plus facile ( !?) pour les voyageurs qui pouvaient descendre les rapides du portages du haut et du milieu, récupérer leur cache et se rendre au portage du bas.


Canton de Hull, Joseph Bouchette, 2 mai 1831

LES ROUTES : En 1801, le premier chemin défriché dans la nouvelle colonie, juste au nord du portage du milieu, était le chemin Columbia, nommé par Philemon Wright, qui a pratiquement tout nommé Columbia.

Le chemin commençait à sa première ferme défrichée en 1800, la ferme Gateno* près de l'étang Columbia (le lac-Leamy, aujourd'hui), et elle menait vers le sud, juste au-dessus du portage du milieu, où elle tournait vers l'est en direction de la ferme des chutes Columbia (je vous l'avais dit !) aux chutes de la Chaudière, défrichées en 1801. Sa ferme Columbia (ouais, une 2e ferme nommée Columbia?) a été défrichée plus tard en 1811, à mi-chemin de cette même route.

*Fait amusant : juste de l'autre côté et en amont de la ferme Gateno de Philemon se trouvait une autre ferme que les Wright ont nommée la ferme Gatenoe... sans blague !

L'année suivant le défrichage de la route Columbia jusqu'à la Chaudière, la route Britannia a été prolongée pour atteindre l'endroit où la plus grande ferme de Philemon, la ferme Britannia, serait défrichée en 1804, et jusqu'au bout du portage du haut ; un endroit que les colons ont appelé le débarcadère Deschênes.

AUJOURD'HUI : Le début du portage du milieu à la baie de la Cache, à notre connaissance, est maintenant en grande partie couvert par la piste cyclable - ce n'est pas la première fois qu'un trésor historique se trouve comme ça dans cette région (Les restes de la première maison de Philemon Wright sont également couverts par une piste cyclable - super-bonne planification !). La fin du portage, aujourd'hui, est le parc Brébeuf.


Le monument du Portage

Le portage du milieu est le seul des trois portages où une petite partie de la piste originale est encore intacte. Il est facilement accessible depuis le parc Brébeuf, dans le secteur de Val Tétreau à Hull. Le monument du Portage, illustré, marque le point d'accès de la partie existante du portage original (voir carte ; x marque l'endroit)

Marches sculptées sur le Portage du milieu

Quiconque se promène sur le chemin d'origine peut en fait voir les pierres lisses usées par des milliers d'années de passage. On peut marcher sur les traces des personnages historiques qui ont foulé ces mêmes pierres : Tessouat, Pontiac, Brûlé, de Brébeuf, Lalement, de Vignau, de Champlain, de Brébeuf, La Vérendrye, de Troyes, d'Iberville, Henry, Simpson et Wright.





Camp et foyer

On peut encore voir des marches taillées dans la roche sur l'une des parties les plus escarpées du portage. De même, dans le bois situé juste à l'écart du sentier, se trouve un creux qui aurait fait un parfait emplacement de camping ou de cache. En effet, une sorte de camping moderne y a été créé avec une enceinte en rondins et un foyer.





Le portage du haut aux rapides de Deschênes

Le portage du haut

Le portage du haut, heureusement, était le plus facile des trois à 750 pas, et il amenait le voyageur à l'endroit où pousse les chênes - Deschênes.

Le portage était à peu près un plan droit avec une pente facile vers le haut, depuis une plage située juste avant le début des rapides jusqu'à une baie abritée juste après. C'est dans cette baie, à la tête des rapides, que d'innombrables personnes avaient campé après le passage des trois portages.

LES ROUTES : Comme nous l'avons mentionné, il était prioritaire pour les colons d'avoir un accès terrestre à leurs fermes en amont de la Chaudière. Un, ou encore, trois portages ne convenaient pas. Le chemin Britannia a dû être prolongé peu après que les colons en aient défriché une partie pour la première fois en 1800.

Lorsque le chemin Britannia a été défriché pour la première fois, en 1802, il a suivi le même chemin que le boulevard Taché et le chemin Aylmer suivent aujourd'hui, jusqu'à ce qu'il bifurque vers le sud pour rejoindre les fermes des deux colons au pied des rapides de Deschênes et se prolonge jusqu'à la baie qui, pour un court moment du moins, est devenue connue sous le nom de débarcadère Deschênes. Plus tard, lorsque Samuel Bell était propriétaire des terres, la baie située juste au-delà a été appelée la baie Bell.

James McConnell et Gideon Olmstead ont été les deux premiers colons à défricher leurs fermes à Deschênes en 1802, et celle de McConnell menait directement aux rapides, de sorte que la route menant au sud de la route Britannia a naturellement été appelée le chemin McConnell (aujourd'hui, c'est le ch-Rivermead). Quelque temps après 1810, James McConnell a creusé le premier canal aux rapides Deschênes et a probablement construit le premier moulin. Il s'est lancé dans le commerce du bois avec son frère. Les frères McConnell se sont également lancés dans le commerce de la fourrure en tant que petits commerçants, reprenant le commerce en faillite du petit commerçant Ithamar Day dans les années 1830. Le village qui se développera grâce aux efforts des McConnell sera connu sous le nom de Deschênes Mills.


L'auberge Symmes de William H.Bartlett 1842, à Turnpike End

Cependant, en 1805, l'utilité du débarcadère Deschênes est bientôt éclipsée par le prolongement de la route Britannia, une fois de plus, jusqu'au lac Chaudière (Lac-Deschênes, aujourd'hui). De nombreuses autres fermes se développent le long de la route et le nouveau débarcadère situé à l'extrémité ouest de la route devient rapidement un important centre de transport. Une ferme d'approvisionnement est défrichée - la ferme du lac Chaudière - et l'hôtel Wright, une taverne et un magasin seront installés par Philemon Jr. en 1818, le tout pour servir l'industrie du bois en plein essor qui s'était étendue à la Haute-Ottawa.

Le village embryonnaire à cet endroit a été connu sous le nom de Chaudière Farm Village, et avec les améliorations apportées à la route Britannia, la route est devenue la Britannia Turnpike, et le village, Turnpike End. Turnpike End deviendra plus tard Aylmer.

AUJOURD'HUI : Le portage du haut se trouve aujourd'hui au Parc des Rapides-Deschênes et il est couvert par une autre piste cyclable - en fait, la même piste cyclable qui couvre les trois portages - appelée le Sentier des Voyageurs.

Vous y trouverez des ruines au pied des rapides, où les rapides sont vraiment spectaculaires, surtout au printemps, où ils peuvent être carrément effrayants. Enfin, faites une courte promenade jusqu'à la baie Bell, un lieu de repos pittoresque.


Les ruines sont ce qui reste d'un barrage et d'une centrale hydroélectrique, construits en 1895 pour fournir de l'électricité à la ville d'Aylmer et pour alimenter le réseau de tramway électrique qui reliait Aylmer, Hull et Ottawa. Elles ont été construites par William Conroy d'Aylmer et M. Edward Seybold d'Ottawa.


Les rapides de Deschênes aux ruines de la barrière

Le ministère des Transports du Québec a décidé, sans l'avis du public, que les ruines devaient être démolies. Voyons comment cela se passe avec les gentils bourgeois d'Aylmer qui, dernièrement, ont élevé la voix, haut et fort, contre les politiciens qui tentent de mettre le bazar dans leur patrimoine, leur histoire et leurs forêts !

Si vous avez suivi les nouvelles récemment, la forêt Deschênes à la baie Bell a été sauvée de devenir la plus récente rangée de condos de millionnaires sur les rives de la rivière. La forêt est la raison pour laquelle cette région a reçu son nom, Deschênes, qui signifie l'endroit où pousse les chênes, ce qui a été traduit par l'explorateur français Pierre de Troyes de l'Anishinàbemowin Mitighomizh-minogin ou Mitigomijokan.

La baie Bell, elle-même, a été identifiée comme ayant un potentiel archéologique important, pour des raisons évidentes. Pour se rendre à la baie Bell, il suffit de faire une belle randonnée d'environ 300 mètres à travers une forêt de chênes massifs et, une fois sur place, on est récompensé par une vue magnifique sur la Haute-Ottawa. On peut encore trouver des tessons de poterie, des flocons de chert (essentiellement du silex) et de la pierre travaillée éparpillés le long du rivage de la baie.

Les trois portages et les routes qui les ont remplacés ont marqué la progression de la capitale nationale d'une manière que rien d'autre n'a connue. De la route primitive à travers la nature sauvage, aux années du commerce des fourrures, suivies par l'abattage du bois qui a lancé l'ère industrielle du Canada, ces routes de l'eau et de la terre ont tout vu.

Sans elles, il n'y aurait pas de capitale nationale, et même pas de Canada, tel que nous le connaissons.


La rivière des Outaouais en amont du portage du haut
 
Carte de Théodore Davis du canton de Hull 1802 - BANQ

[1] Carte de Théodore Davis du canton de Hull 1802 - BANQ


















[2] Le Trou du Diable était un tourbillon permanent trouvé au pied des chutes de la Petite Chaudière.

[3] Technique de navigation dans laquelle un canoë (moins les pagayeurs avec une charge complète ou à demi-charge) est tiré depuis le rivage par une corde solide appelée "cordelle", de 18 à 30 mètres de long (60 à 100 pieds). Le gouvernail ou l'avant pouvait rester dans le canoë pour aider à s'éloigner du rivage. Cette technique était utilisée pour guider le canoë en aval lorsque l'eau était trop dangereuse pour pagayer et lorsque le rivage était exempt de chicots.

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